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Enclavés vous mêmes ! (ou l'art de faire fausse route)

 1 février 2003

 Quiconque veut s'emparer du monde et s'en servir court à l'échec.
Le monde est un vase sacré
Qui ne supporte pas qu'on s'en empare et qu'on s'en serve.
Qui s'en sert le détruit.
Qui s'en empare le perd
Lao-Tseu, Tao-tê-king, 29
 

l y a quelques jours, je lisais le Miroir de la Soule N° 1154 du 25 janvier 2003. L'interview de Pierre Erbin, Maire de Tardets répondant aux questions de Ximun Peyran a retenu mon attention. Mr Peyran déclarait : «Me paraît vitale pour l'avenir, la création d'une voie rapide reliant notre vallée à la mer. L'accès à la plage en moins d'une heure. Plus d'une heure, c'est dissuasif ...». Le Maire de Tardets trouve «logique et raisonnable» la création d'une «voie rapide de Soule» en parlant aussi d'une voie Tardets-Mauléon. Ces réflexions, d'une touchante naïveté, sont représentatives de la grande majorité de nos élus souletins. Ces "idées" qui ressemblent à s'y méprendre à celles de leurs homologues en vallée d'Aspe sont destructrices, simplistes et détournent la population des vrais problèmes de société. Elles se résument à l'action d'aller vite et facilement d'un point à un autre sans savoir véritablement ce qu'il faudra faire une fois arrivé. L'objectif étant de faire n'importe quoi pour faire quelque chose. Creuser des trous pour les reboucher ensuite histoire de se trouver une occupation et avoir quelque chose à dégoiser aux prochaines élections.

Quand j'entends ces idées néantissimes je crie à l'insurrection, je cours aux barricades, j'appelle l'esprit de Matalas à la rescousse, celui de 93 et de 68 pour qu'il réveille nos sens et fasse de nos cervelles des bâtons fumasses pour combattre ces idées ringardes.

Rappelons simplement ce qu'était Mauléon par exemple, avant que la Soule ne se découvre subitement «enclavée». La Haute-Ville, le jour du marché, était pleine comme un oeuf. Les béarnais venaient en nombre toutes les semaines remplir les halles et les rues, jusqu'au manoir de Béla, en haut de la rue du même nom, dixit mes grands-parents qui tenaient une auberge en dessous de l'église. Ils préparaient ce jour-là une énorme marmite de café que les clients vidaient dans la matinée. Ils me racontent également que partout, ça parlait français, basque, béarnais et castillan. Avec des routes comme des chemins de campagnol, nous allions chercher de la main d'oeuvre en Espagne et les «hirondelles» franchissaient allègrement la frontière, me disait Gaby Pascualena, (une vieille dame qui s'est éteinte à l'âge de 101 ans et qui habita et travailla à la Haute-Ville, durant le vingtième siècle). On ne parlait pas encore de désenclavement et jamais les échanges ne furent aussi nombreux peut-être.

Le désenclavement est un mot moderne inventé par des élus sans imagination dont nous avons malheureusement quelques spécimens bien charpentés en Soule comme le conseiller général de Tardets, Michel Arhancet. Ce dernier donne d'ailleurs son appui au projet d'axe routier à grande capacité, 2 x 2 voies à travers la Basse-Navarre. Il pense «tirer des bénéfices de cet aménagement» (Journal du Pays Basque du 24 janvier 2003). Pierre Erbin raconte aussi sur le Miroir de la Soule :«Des réflexions de touristes me sont parvenues, disant «Tardets, c'est loin ! « ou encore «les routes sont mauvaises !» Et Erbin croit dur comme fer, que ces touristes (ceux-là mêmes qui nous envoient au mois d'août des cartes postales exotiques de Katmandou, c'est à dire, la vue d'un hôtel intercontinental avec piscine et palmiers) se préoccupent de l'économie de la Soule. Fadaises. Ces élus oublient que lorsque nous, souletins, devons nous rendre dans le centre de Bordeaux de Pau ou de Toulouse, c'est loin. Si on ne connaît pas, c'est compliqué et pour peu que l'on ne soit pas habitué à conduire en ville, c'est carrément l'enfer. Pour aller d'une rue à l'autre il faut également tourner, les feux le disputent en embarras aux bouchons et les places de parking sont payantes. Ces élus conservateurs et archaïques pensent qu'il faut écouter les gens même lorsqu'ils disent des conneries. Leur objectif est de faire de la mousse, une mousse bien inutile mais que l'on voit à l'œil nu, sans avoir besoin de réfléchir. Aux prochaines élections l'élu s'écrira «désenclavement ! désenclavement ! et regardez, la mousse, c'était moi ! votez pour moi». Mais la mousse disparaît dès que le citoyen tourne la tête et retourne à ses occupations. L'élu à fait flèche de tout bois. L'élu sans conscience n'est que ruine et drame. L'électeur est berné, l'élu est élu, le résultat est nul et non avenue.

 Le vrai problème de la Soule ne pourra pas être réglé par des infrastructures, j'en suis convaincu, mais par de l'information, de l'imagination, de la réflexion, de la discussion, de la participation, de la mobilisation, de la concertation, de la sollicitation, de la rencontre et de l'action. Ce que nous vivons aujourd'hui n'est pas une simple crise de société, c'est une mutation et tout est à inventer. Les "voies rapides" que veulent nous imposer ces élus détruisent le paysage, sont coûteuses (rien que l'étude de faisabilité pour la liaison Pyrénées-Atlantiques/Navarre coûtera deux millions d'euros au contribuable) et il faut penser au bruit, à la pollution esthétique, la pollution de l'air et de l'eau, l'emprise sur le foncier, la gêne considérable pour le trafic local des particuliers, pour l'activité agricole, l'économie locale et pour le tourisme.

Il s'agit surtout d'un sérieux coup de pouce au tout automobile et par conséquent à l'effet de serre et aux conséquences que nous connaissons.

Au-delà de tout cela c'est se plier au diktat de la vitesse en pensant que les problèmes ne viendraient pas de nos déficiences démocratiques à comprendre et identifier les problèmes de société mais du temps et de l'espace (ces salauds qui nous obligent) qui n'iraient pas dans notre sens et qu'il faudrait plier à nos objectifs à court terme d'humains nombrilistes. C'est aussi penser que la nature avec laquelle nos ancêtres ont vécu en parfaite harmonie jusqu'à présent doit être pliée à nos petits caprices, notamment à ces projets et réalisations qui partout dans le monde ruinent l'environnement et accélèrent le fossé entre les riches et les pauvres, entre le nord et le sud. Des clichés pensez-vous ? Pas plus cliché que l'idée bidon de désenclavement .

Ces élus se contentent d'effet d'annonce. Il y a 12 ans, par exemple, en espérant 600 emplois en échange du passage du Gazoduc sur le dos de la population. Le gazoduc est là et combien d'emplois ont-ils finalement créé ? Aujourd'hui espérant toujours (1) 600 emplois en confiant leur responsabilité et notre argent à des cabinets d'études, en déléguant leur responsabilité après que nous ayons nous même délégués les nôtres aux dernières élections (de délégation en délégation la démocratie ne finit-elle pas par être vide de sens ?). Ils prouvent par cela même leur incapacité à réfléchir par eux-mêmes et réfléchir avec la population tout en bernant celle-ci de promesses qu'ils ne peuvent tenir. Par cela, tenir la population dans la docilité, l'immobilisme et la confiance aveugle de manière à ce qu'ils puissent continuer à préserver leurs petites habitudes et leur confort d'élus.

Ximun Peyran insiste lourdement et continue : «Une réalisation possible (voie rapide reliant notre vallée à la mer) est relativement peu onéreuse du fait de la situation géographique et de sa nature : Une plaine ! Une plaine pour un tracé de route, quelle aubaine ! Cette voie rapide deviendrait un facteur supplémentaire pour notre tourisme». Parce qu'une plaine c'est rien, de la merde que l'on peut piétiner facilement et sur laquelle pousse une une mauvaise herbe gênante que l'on appelle «paysan».

-Nos élus n'acceptent pas de vivre dans un endroit où il y a des collines, des creux des bosses qu'il faut parfois contourner. Au grand mépris de nos ancêtres qui ont vécu avec et dedans durant des milliers d'années (2), au grand dam de nos enfants qui y vivront.

-Nos élus n'acceptent pas nous ayons des petits villages et des maisons espacées dans le territoire avec parfois des routes qui passent au milieu. Des villages du bout du monde qui seraient tous donc, selon ce même principe, enclavés. Selon ce principe, Il faudrait donc une 2 x 2 voie pour désenclaver Sainte Engrâce, Larrau, Barcus, Etchebar...

-Nos élus n'acceptent pas que nos petits villages tout petits, ne soient pas faits pour les camions ni les voitures mais avant tout pour les troupeaux, les paysans et plus généralement tous ceux qui depuis des milliers d'années ont su vivre avec leur temps et avec leur espace.

-Nos élus n'acceptent pas que nous habitions un endroit unique dans lequel on ne vient pas comme partout ailleurs et dans lequel on ne peut vivre comme partout ailleurs.

-Nos élus n'acceptent pas la Soule telle quelle est mais voudraient la transformer pour qu'elle épouse leurs idées, c'est à dire un no man's land rempli d'archétypes et de lieux communs empruntés à d'autres parangons dépassés.

-Nos élus n'acceptent pas que l'activité et la vie en Soule ne s'arrête pas à Mauléon et à Tardets.

Mais s'ils n'aiment pas ce pays, qu'ils fassent leurs bagages et ils auront ailleurs ce qu'ils cherchent. Des routes en veux-tu en voilà, des endroits conformes à leurs principes. J'ai d'ores et déjà une proposition à leur faire. Je connais un petit village à un quart d'heure seulement de l'A10 ou de l'A11 vers Paris ou vers Orléans. Ce village où j'ai fait quelques stages, s'appelle Allonne, dans l'Eure et Loire et se situe à un quart d'heure seulement de Chartres et à une heure de Paris. Et pour de la plaine, c'est de la plaine au grand bonheur de notre folliculaire éculé, professeur de lettres en pantoufles du Mouroir de la Soule, Ximün Peyran.

En espérant que plus tard, la Soule sera assez belle et vivante pour attirer les personnes dans leur diversité qui aimeront se donner la peine de la découvrir pour ce qu'elle est, mais qu'elle restera suffisamment secrète pour dissuader ceux qui voudraient en faire un Disneyland, un zoo, une ruche d'excités cisaillés par des doubles-voies.

Au fait : s'ils quittent définitivement la Soule, pour Allonne, je m'engage à leur payer l'hélicoptère pour leur éviter nos routes catastrophiques. Avis aux amateurs.

 


1 - Sans compter tous les emplois déjà perdus entre-temps qu'il faut rajouter. On dira 700 à 750 emplois à créer en fin de compte
2 - Lors de la seconde guerre mondiale, Antoine de St Exupery écrivait "On n'hérite pas de la terre de nos ancêtres, on l'emprunte à nos enfants".